Anne Rice et La Nouvelle Orléans

Dans ses romans, elle a su donner à La Nouvelle Orléans une dimensions fantastique indéniable. Anne Rice a dépoussiéré le mythe du vampire dans les années 70 et 80. Et quel lieu plus approprié que la ville natale d’Anne Rice, La Nouvelle Orléans, si chargée d’histoire, si imprégnée de la culture vaudou, pour relancer un mythe fantastique ?

En 1976, Anne Rice jette les bases d’une nouvelle qui, au fil des pages, s’étoffera pour devenir un roman, le premier d’une longue série : Interview with the vampire, ou, en français, Entretien avec un vampire. L’idée est originale, et même osée : un vampire et un journaliste, en huis-clos, dans une chambre d’hôtel, se font face. L’immortel, Louis, commence le récit de sa vie, et le journaliste l’enregistre. Louis est devenu vampire à la fin du XVIIIe siècle, dans une plantation aux alentours de La Nouvelle Orléans, à l’époque où la Louisiane était française. Louis était alors un jeune homme dépressif, hanté par la mort de son frère, écrasé par les responsabilités de sa plantation. Lestat, un vampire arrogant et étrangement séduisant, désirait la plantation de Louis pour s’y installer, avec son vieux père humain. Les deux hommes vont mener grand train au sein de la plantation, mais, fuyant une révolte d’esclaves, finissent par s’établir dans une maison de La Nouvelle Orléans, où ils vivent plusieurs décennies en compagnie de Claudie, une enfant transformée en vampire par Lestat. La Nouvelle Orléans devient alors le théâtre des perfidies de Lestat, dépeint par Louis comme un monstre sans foi, ni loi.

Il faut attendre 1984 pour qu’Anne Rice donne voix à Lestat. Celui-ci s’éveille à La Nouvelle Orléans, dans les années 80, après plusieurs décennies de sommeil. En quête de gloire et de grandeur, Lestat s’intéresse aux prophètes de cette époque : les rock stars. Intégrant un groupe, Lestat tombe par hasard sur un livre déjà vieux de plusieurs années : Entretien avec un vampire. Vexé et blessé, il découvre le portrait peu flatteur qu’à fait de lui Louis. Aussi, Lestat décide de donner son point de vue au lecteur, narrant sa jeunesse française en Auvergne à la fin du XVIIIe siècle, sa vie d’immortel, ses rencontres. Avec Lestat le vampire, Anne Rice bâtit une véritable mythologie. Si Entretien avec un vampire listait les caractéristiques des vampires, à travers le prisme des interrogations du jeune journaliste (pouvez-vous voler ? avez-vous peur des croix ?), Lestat le vampire est bien plus complexe et creuse jusqu’aux origines du mythe. La Reine des damnés, troisième tome, terminera de dépeindre les origines des vampires, en faisant apparaître Akasha, le tout premier vampire. Régnant sur l’Égypte avec son époux Enkil 6000 ans auparavant, Akasha était égoïste et cruelle. Devenue aux yeux de la mythologie égyptienne l’incarnation d’Isis, elle est immobile depuis plusieurs millénaires, condamnée à l’immortalité. Mais Lestat, avec son insolence et sa personnalité solaire, parvient à la tirer de son long sommeil.

Si ces trois tomes constituent le socle des chroniques des vampires, Anne Rice a cependant continué à écrire. Dans Le Voleur de corps, Lestat, qui se languit de l’humanité et qui, avouons-le, s’ennuie, échange son corps avec un humain, redécouvrant avec dégoût le besoin d’uriner et l’appel de la chair. Mais les mœurs ont bien changé depuis la jeunesse du vampire qui découvre qu’il ne peut plus trousser qui il veut et que le VIH l’oblige à se « protéger ». L’humain qui lui a prêté son corps ne souhaitant pas procéder à un nouvel échange, Lestat se voit contraint à ruser pour récupérer son corps, devenu surpuissant depuis sa rencontre avec Akasha. Puis, dans Memnoch le démon, Lestat se pique de théologie. Malheureusement, on sent qu’Anne Rice a perdu le rythme depuis les premiers tomes. Lestat n’est plus aussi provocant, ni aussi charismatique. Dernier sursaut, Anne Rice sort en 2001 l’imposant Le Sang et L’or, qui retrace la longue vie de Marius, immortel né sous l’empire romain, un des meilleurs romans de l’auteur. Capables de provoquer le lecteur et de susciter aussi bien inconfort et fascination, les premiers tomes poussent le lecteur à s’interroger sur les notions de beauté, de bien, et de mal. Vampire amoral, Lestat est souvent confronté aux scrupules de Louis, plus humain. Le lecteur a lui parfois du mal à prendre parti. Et finalement, il doit bien admettre qu’il préfère Lestat, pourtant odieux.

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Anne Rice a su s’imposer en quelques tomes comme la créatrice d’une brochette de personnages romanesques de premier plan : Lestat, incarné à l’écran par un Tom Cruise très inspiré (en 1994) et par un Stuart Townsend moins convaincant (en 2000), est devenu l’avatar du vampire le plus dérangeant, car à la fois cruel et fascinant, dangereux et séduisant. Louis, plus doux, sensible et torturé, s’efface bien vite face à la personnalité flamboyante de Lestat. Noble français exilé à La Nouvelle Orléans, Lestat s’est épanoui dans l’atmosphère moite et sulfureuse de la ville. La ville semble presque un personnage à part entière d’Entretien avec un vampire, tout comme le Paris d’hier semble plus réaliste que jamais dans Lestat le vampire. Une nouvelle édition française des chroniques est en cours de parution, plus de trente ans après la parution des premiers tomes, montrant que les romans d’Anne Rice, bien que devenus de véritables classiques du genre, n’ont pourtant pas pris une ride.

Par Emily Vaquié

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A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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