L’Océan au bout du chemin : incroyable Neil Gaiman !

Copyright : Adrien Deggan

Neil Gaiman est un auteur britannique prolifique, dont les romans et comics connaissent un beau succès ; huit ans après son dernier titre, il publie L’Océan au bout du chemin au Diable Vauvert ; le titre s’est déjà vendu à 750 000 exemplaires aux États-Unis, 250 000 exemplaires en Angleterre, et a été élu Book of the year 2013 par les lecteurs anglosaxons et récompensé du Prix Locus 2014 ! L’Océan au bout du chemin lève le voile sur l’enfance de l’inspiration de Neil Gaiman, dans un récit mâtiné de fantastique.

De retour dans la maison de son enfance pour des obsèques, un homme encore jeune retrouve les lieux de son passé et des souvenirs qu’il croyait oubliés. Le suicide d’un locataire l’avait emmené à rencontrer la petite voisine, Lettie, qui affirmait que la mare au bout du chemin était en fait un océan. Le souvenir de cette mare va en entraîner d’autres ; l’étrange trinité qui régnait dans la ferme des Hempstock, la créature de la nuit qui s’acharne sur la maison et la famille de l’enfant, les cauchemars qui affluent. Lettie savait une montagne de choses en rapport avec la magie et, à ses côtés, notre personnage a vécu des aventures exaltantes et terrifiantes…

Il ne faut pas plus d’un court chapitre introductif à Neil Gaiman pour plonger dans un récit teinté de fantastique, qui vient auréoler les souvenirs de l’enfant. Pendant la plus grande partie du récit, on suit donc un enfant de sept ans, avec son phrasé, sa logique, son appréciation des choses. Mais cela ne veut pour autant pas dire que L’Océan au bout du chemin est un roman jeunesse ; l’ambiance est, globalement, assez sombre, et on sent les cheveux se dresser sur la tête à de nombreuses reprises.
Et c’est d’autant plus efficace qu’on se demande si tout cela est bien réel, ou si le personnage a des hallucinations. On adhère totalement à l’histoire, et on joue sans cesse avec la frontière du réel et du merveilleux. Frontière sans cesse ravivée par les pertes de mémoire de notre personnage ; celui-ci ne se rappelle pas bien de ce qu’il s’est passé dans son enfance. Ou plutôt, il s’en rappelle tellement bien qu’il a préféré oublier ces épisodes, son cerveau les dissimulant dans un oubli confortable et cicatrisant. Voilà qui pose l’éternelle question : les souvenirs d’enfance sont-ils le souvenir de ce qu’on a réellement vécu ? Ou y a-t-il une part d’affabulation ? Qui sait ?

Au gré du récit, il sera finalement question des petits traumatismes liés à l’enfance, des désillusions qui font que l’on passe du stade de l’enfant à celui de l’adulte. Épisodes terrifiants, découvertes que l’enfant ne comprend pas immédiatement mais dont il saisit la portée dramatique, cauchemars éveillés… tout cela vient servir un récit fantastique et merveilleux d’une qualité rare, que l’on lit avec un immense plaisir, et qu’on relira avec autant de bonheur !

Car Neil Gaiman ne plaque pas sa vision d’adulte sur celle qu’il avait enfant ; non, son texte sonne extrêmement juste, il sait comment retranscrire les pensées et émotions de l’enfant sans les trahir, sans les dégrader par la réflexion menée a posteriori.

Le style de Neil Gaiman, épuré, sert un univers empreint des contes du folklore anglosaxon ; entre les créatures que l’on rencontre, les trois femmes de la ferme Hempstock, ou la façon dont se déroule l’histoire, difficile de ne pas penser aux contes que l’on s ‘échangeait à la veillée. D’ailleurs, notre personnage reste parfaitement anonyme jusqu’à la fin, à l’instar de ces figures des contes universels.

L’Océan au bout du chemin est le douzième roman de Neil Gaiman, probablement son titre le plus personnel. Sans être parfaitement autobiographique, il s’inspire de l’enfance de l’auteur, et des perceptions qu’il en a gardées. Bien sûr, il y a beaucoup de Neil Gaiman dans ce petit garçon qui aime lire et vit des aventures fantastiques ; mais L’Océan au bout du chemin, c’est beaucoup plus qu’un simple texte autobiographique. Dès les premiers chapitres, on plonge dans un récit initiatique tendre, merveilleux, captivant, fantasmagorique et parfois effrayant. Un récit qui a toute la saveur des souvenirs d’enfance, un peu brumeux, mais que l’on chérit avec force, un récit qui a la justesse et la puissance des meilleurs textes !

À l’occasion de la parution française, Neil Gaiman est venu en France et a accordé une séance de dédicace à ses lecteurs et une conférence de presse, la première en France depuis 12 ans, et à laquelle Café Powell a eu le plaisir d’assister. La visite coïncide avec un vernissage de Dave McKean, pour une exposition de leur dernière collaboration à la galerie Martel, visible jusqu’au 22 novembre inclus ; l’occasion d’en savoir un peu plus sur L’Océan au bout du chemin.

Neil Gaiman en est arrivé à écrire ce roman à cause – ou grâce – à sa femme, Amanda Palmer, qui voulait en savoir plus sur l’enfance de son mari. Les lieux de son enfance ayant disparu, il a décidé de passer par un roman qu’elle aimerait, et qui serait fantastique. Parti pour écrire un texte assez court, il s’est retrouvé à écrire sans pouvoir s’arrêter, terminant ce roman « par accident ». Dès la parution, le titre s’est classé premier des best-sellers du New York Times pour 18 semaines consécutives, détrônant Dan Brown au passage.
Selon lui, il y a une vérité émotionnelle présente dans tous ses livres ; ici, ce serait celle qui tient à l’enfance, aux moments que l’on affectionne et auxquels on repense avec plaisir.

L’Océan au bout du chemin est inévitablement empreint de multiples références, notamment aux contes, qui ont pétri l’enfance de l’auteur. Mais L’Océan au bout du chemin met surtout en scène un univers et des personnages qui accompagnent Neil Gaiman depuis bien longtemps. Au cours de la conférence de presse, il a raconté que lorsqu’il avait environ huit ans, sa mère lui a dit qu’une des fermes au bout du chemin était dans le livre du Jugement dernier, donc présente depuis un bon millénaire. Environ un an plus tard, il en était venu à se poser la question suivante : « Et si les gens de la ferme étaient aussi là depuis 1000 ans ? ». Lorsqu’il a eu 10 ou 12 ans, les habitants de la ferme étaient devenus les Hempstock que l’on rencontre dans le roman. Cela faisait longtemps que Neil Gaiman souhaitait écrire sur cette famille, qui apparaît ça et là dans le reste de ses romans. Dans Stardust, par exemple, Hempstock est le nom de famille de Daisy, la jeune fille que Dunstan Thorn épouse, et qui élève Tristan comme son fils.

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La fin de L’Océan au bout du chemin, très ouverte, laisse des questions en suspens, concernant Lettie, notamment. Neil Gaiman sait ce qui lui arrive et, d’après lui, on peut le deviner également. Pour Neil Gaiman, la lecture est une affaire de collaboration entre auteur et lecteur, un travail sur l’imagination que l’on ne peut retrouver ni à la télévision, ni au cinéma ; la lecture laisse au lecteur la possibilité de développer son imagination, chose que l’on peut faire tout à loisir dans son dernier roman.

Neil Gaiman a terminé en expliquant que son but, en écrivant un roman, est d’arriver à « quelque chose qui peut être lu avec plaisir, et relu avec un plaisir accru ». But parfaitement atteint avec L’Océan au bout du chemin !

L’Océan au bout du chemin, Neil Gaiman.  Au Diable Vauvert, 23 octobre 2014. Traduit de l’anglais par Patrick Marcel.

Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

3 Commentaires

  1. J’ai justement un Neil Gaiman qui patiente dans ma PAL (Neverwhere), et je vais certainement y ajouter L’océan au bout du chemin, qui m’a l’air extrêmement tentant… je n’ai encore rien lu de cet auteur, mais après avoir lu cette chronique, je me dis qu’il est grand temps que je m’y mette !

  2. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire un roman de Gaiman, mais peut-être que je vais commencer par celui-ci car ta critique me donne envie de découvrir son univers.

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