Lawrence d’Arabie, la légende…
On l’appelait le roi sans couronne. Il a été l’un des espions du XXe siècle les plus connus, aux côtés d’autres grands noms de l’espionnage tout aussi sulfureux, charriant avec eux un parfum de gloire et de mystère. Grâce au film épique et grandiose de David Lean, et à l’interprétation de Peter O’Toole, tout le monde a une idée de qui est Lawrence d’Arabie à qui Michel Renouard consacre une remarquable biographie qui tâche de remettre les pendules à l’heure.
Lawrence d’Arabie ; son nom évoque immanquablement la figure d’un homme encore jeune, au visage tanné éclairé par des yeux bleus, portant la coiffe en coton blanc des hommes du désert, le regard pensif fixé sur l’horizon. L’image romantique et romanesque que dégage le personnage tient pour beaucoup de l’interprétation de Peter O’Toole, interprétation qui dépasse de très loin la réalité, selon Michel Renouard, et qui a grandement contribué au mythe qui s’est installé autour de la figure de l’espion, lui conférant une aura quasi mystique.
Dans cet ouvrage clair et agréable à lire, Michel Renouard retrace le parcours hors-norme d’un aventurier d’exception. D’une naissance illégitime à une consécration toujours en demi-teinte, le biographe s’attache à dresser un portrait tout en ombres et en creux d’un homme qu’on a peu à peu oublié, au profit de sa légende. Jeune archéologue fraîchement émoulu d’un collège d’Oxford, T. E. Lawrence (de son vrai nom) est rapidement recruté par les services secrets pour espionner au Moyen-Orient, aux côtés d’autres hommes de sa carrure. Sillonnant le désert, il sera l’artiste de la révolte arabe durant la première guerre mondiale. Mettant en parallèle histoire personnelle et histoire générale, Michel Renouard fait renaître avec une grande habileté l’ambiance exaltante propre aux récits d’espionnage du XXe siècle : la partie orientale semble n’être constituée que de recherches passionnées et passionnantes sous un soleil de plomb, de courses en méharis, de rencontres avec d’autres figures de légende.
Un portrait intelligemment brossé
La biographie est alimentée par de très nombreuses sources, d’origines diverses. Autres biographies de l’aventurier, essais, ou encore les propres écrits de T. E. Lawrence, au nombre desquels, évidemment, de larges extraits des Sept piliers de la sagesse. Le biographe compulse et recoupe les informations, pointant ici ou là les défauts et pertinences de chacune. Loin de livrer une somme des connaissances et hypothèses accumulées sur le personnage, Michel Renouard propose, avec cette biographie, un avis éclairé et justifié sur la question, le tout dans un style très agréable à lire, qui sait être tour à tour érudit, sérieux, ou tout bonnement facétieux. Le portrait de Thomas Edward Lawrence est intelligemment brossé ; évoquant les diverses polémiques qui ont eu lieu autour de sa personne, et les zones d’ombre de sa carrière, le biographe ne laisse rien au hasard, sans toutefois donner la sensation d’un voyeurisme déplacé. L’homme pétri de contradictions que semblait être le sémillant espion est parfaitement mis en valeur ici, ainsi que les événements qui ont contribué à sa sulfureuse et encombrante réputation, de sa naissance illégitime, à son décès dans de bien étranges circonstances.
Michel Renouard propose là une intéressante rétrospective sur une figure illustre largement passée dans l’imaginaire commun, et tenant désormais plus du mythe que de la réalité, qui a donné lieu à de multiples interprétations et réutilisations : une des plus récentes est celle qu’en ont faite Yves Sente et André Juillard, dans le 21ème tome des aventures de Black et Mortimer, intitulé Le Serment des cinq Lords. Preuve supplémentaire, si besoin était : le conquérant des sables devrait être bientôt incarné par Robert Pattinson, dans le film de Werner Herzog retraçant la vie de Gertrude Bell, une autre archéologue-espionne de la même époque. Comme l’a brillamment montré Michel Renouard, Lawrence d’Arabie n’a pas fini de faire rêver !
Lawrence d’Arabie, Michel Renouard. Folio, 2012.
Par Oihana
Ne situons pas trop tôt dans le temps l’engagement de T.E. Lawrence comme agent de renseignement au service de la Grande-Bretagne : il ne l’était pas encore lorsqu’il effectuait des fouilles archéologiques avec Reginald Campbell Thompson et Leonard Woolley sur le site de Karkemish, et rien n’indique qu’il ait joué un tel rôle dans la zone qui séparait alors la Syrie de la Turquie, malgré la construction du chemin de fer Berlin-Bagdad, dont la progression inquiétait la Grande-Bretagne qui voyait se rapprocher les Allemands d’une zone contrôlée par les Turcs et où elle venait de découvrir des gisements de pétrole. Lawrence a probablement donné des renseignements, mais sans se prendre lui-même pour un « espion » (le mot est trop fort). Son aide indirecte aux services de renseignements britanniques, sur le plan catographique, a plus sûrement commencé quand Stewart Francis Newcombe a fait appel à lui et à Woolley pour dresser la carte du désert de Sin et du Neguev à la veille de la Grande Guerre, et l’on voit bien qu’il commence à ce moment-là à sortir du cadre purement « scientifique » de sa mission, notamment lorsqu’il échappe aux autorités ottomanes à Akaba, et que cela donne lieu à une folle poursuite sur les lieux où il s’illustrera plus tard. Lawrence d’Arabie perçait bien un peu sous la peau de T.E. Lawrence, mais il vivait encore cela plutôt comme une aventure que comme un vrai travail d’espion. Quant à Hogarth, s’il fut son mentor, ce fut moins comme un homme de l’ombre qu’il aiguillonna son jeune protégé que comme un garçon fait pour se rendre utile au Moyen-Orient, que ce fût en tant qu’archéologue ou en tant que personne qui cherchait à s’informer sur un autre plan.
François Sarindar