Sur Café Powell, nous avons décidé d’inaugurer un nouveau rendez-vous, intitulé « Visages du livre » qui nous permettra de mettre en lumière un métier du monde du livre, et plus tard, espérons-le, de la culture. Cette semaine, c’est Filipa, Community Manager pour Robert Laffont et Piranha, qui répond à nos questions
En bref, parles-nous un peu de ton métier ! Si tu devais le décrire à quelqu’un qui n’y connaît absolument rien, comment le pitcherais-tu ? Pourquoi avoir choisi cette spécificité de la communication ?
Je suis Community Manager dans des maisons d’édition. Pour simplifier cela veut dire que je m’occupe de tout ce qui est réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Youtube etc. Je suis en charge d’animer tous ces réseaux et donc de trouver du contenu qui intéressera les lecteurs. J’alterne entre du contenu institutionnel (informations sur les prochaines parutions, avis presse et blogs, actu des auteurs) et du contenu qui n’a pas de lien direct avec la maison d’édition, mais qui a toujours un rapport avec le monde du livre.
Pour moi, les deux choses essentielles dans la vie sont la découverte et le partage. C’est précisément les raisons pour lesquelles je me suis lancée dans l’aventure bloguesque il y a déjà 9 ans et que je suis inscrite sur à peu près tous les réseaux qui existent. Quand ‘Community Manager’ a commencé à devenir un vrai métier plus qu’un simple terme, j’ai commencé moi aussi à m’y intéresser. Et je me suis vite rendue compte que c’était sans doute le seul métier qui me permettrait de lier ces deux points essentiels. C’était soit ça, soit journaliste culturel. Mais les réseaux sociaux m’attiraient plus que la rédaction journalistique.
A quoi ressemble une journée type de travail pour toi ?
L’avantage de travailler en freelance c’est que j’organise mes journées à ma façon. Je peux m’occuper des réseaux le matin et aller au cinéma l’après-midi. Je peux aussi passer toute une journée à préparer et programmer des posts et partir ensuite trois jours à Londres. Mais en général, j’organise mes journées selon un emploi du temps assez fixe.
Le plus souvent, je m’installe devant mon ordi vers 9h30 et je lance tous mes petits outils : Facebook, Tweetdeck, Buffer, Photoshop, Latergramme. Je regarde les commentaires et autres mentions Twitter qu’il y a eu depuis la veille. Je réponds aux messages et commentaires et retweet ce qui peut l’être. Ensuite je me lance dans l’animation des réseaux. D’abord Twitter, où je programme tout ce qui peut l’être : articles de presse et autres liens vers podcasts et replays des émissions avec les auteurs, les dates de dédicaces d’auteurs, les infos sur les parutions de la semaine, des citations, vidéos etc. Facebook, c’est assez rapide car j’y poste en général un ou deux posts par jour seulement, et souvent selon un planning déjà bien établi.
Une fois les posts du jour programmés, je prépare les jours suivants et mets ma casquette de graphiste. On mise beaucoup sur les images, car dans les fils d’actualités, c’est la première chose que l’on voit. Un post avec image aura beaucoup plus d’impact qu’un post avec simplement du texte. Chaque post a droit à son image, que ce soit une citation de livre ou de presse, un livre qu’on met en avant ou un concours flash. Cela me permet de faire d’une pierre deux coups car je reprends ensuite ces visuels pour Instagram (ce qui explique pourquoi j’utilise essentiellement le format carré).
Excepté la partie ‘programmation’, le reste de ma journée varie en fonction des jours et de l’actualité: quand je n’ai pas de créas à faire et que l’actualité est plutôt calme, j’en profite pour passer un peu de temps sur Pinterest, faire de la veille ou bien chercher des idées de contenu.
Une fois mon travail du jour pour Laffont terminé, je recommence avec l’autre maison d’édition. La charge de travail est cependant moins importante car Piranha est une maison encore assez jeune et qu’elle n’est pas présente sur autant de réseaux.
Quels ont été ta formation et ton parcours ?
Question compliquée. J’ai un parcours assez atypique. Après une L1 d’histoire de l’art (je voulais être Indiana Jones) intéressante mais ratée, je me suis tournée vers ma première passion, l’anglais, avec pour objectif d’un jour travailler chez Time Out London (je ne perds pas espoir d’y arriver). En L3, je me suis inscrite en parcours Traduction Littéraire parce que je n’avais pas envie de faire un master recherche et que je n’étais pas mauvaise en version.
Si je suis devenue CM c’est surtout parce que j’ai eu la chance d’être au bon endroit, au bon moment. Il faut remonter à fin novembre 2012 pour comprendre, le dernier jour du Salon du livre de Montreuil. A ce moment-là, je n’étais pas inscrite à la fac, j’avais validé ma L3 de LLCE Anglais Parcours Traduction Littéraire mais comme je n’étais pas certaine de vouloir continuer dans cette voie, j’avais décidé de ne pas m’inscrire tout de suite en M1. Entre-temps, j’avais aussi découvert une formation à distance en Community Management et comme c’est quelque chose qui m’intéressait de plus en plus, je me suis dit que cette année de ‘césure’ serait l’occasion pour moi d’en apprendre plus sur le métier. Pendant le salon j’ai rencontré la responsable numérique de Laffont et un jour qu’on discutait j’ai mentionné le fait que je suivais actuellement une formation en community management. C’est là qu’elle m’a dit qu’ils cherchaient justement un stagiaire CM et si ça m’intéressait. Evidemment, j’ai dit oui. Un mois plus tard, je découvrais le monde du stage, de l’édition et du community management. Après 6 mois de stage, on m’a proposé de continuer à travailler pour la maison, mais en freelance cette fois. Là encore, j’ai dit oui. Et j’y suis encore.
As-tu des conseils à donner à quelqu’un qui souhaiterait devenir également CM ? Conseillerais-tu le statut freelance ?
Je lui conseillerais avant tout de bien réfléchir. Il ne suffit pas d’aimer les réseaux sociaux pour devenir CM. Tout comme il ne suffit pas d’être inscrit sur Twitter, de passer ses journées sur Facebook et de partager ses photos sur Instagram pour prétendre à un poste de CM. Il faut être curieux et polyvalent, il faut connaître l’entreprise dans laquelle on travaille et ne pas penser qu’en termes de chiffres. Il faut être prêt à relever de nouveaux défis (créer un site web, monter une vidéo), ne pas avoir peur de la critique (les commentaires négatifs sont légion et en cas de mécontentement ou de mauvais buzz, le CM est souvent le premier à gérer la crise) et être réactif (un CM, surtout freelance, peut être sollicité à tout moment le week-end). Il faut surtout comprendre que dans ‘Community Management’ il y a ‘communauté’ et qu’il ne s’agit pas seulement de promouvoir un produit : il s’agit avant tout de s’adresser à une personne et que cette personne n’aime pas qu’on la prenne pour un pigeon.
Une formation en Community Management n’est pas obligatoire je le recommande fortement car elle vous apportera les connaissances nécessaires en communication, webmarketing, graphisme etc. Outre les organismes qui dispensent des formations en ligne (type EmWeb), les universités offrent aussi de plus en plus de cursus en communication digitale, et ce dès la licence.
Pour ce qui est du statut de freelance, je le conseille, mais seulement en complément ou une fois que vous êtes déjà bien établi dans la vie. Vous pouvez tenter le freelance pour vous faire une première expérience et un carnet de contacts ou bien pour préparer une future reconversion. On peut tout à fait vivre d’un travail en freelance, mais il faut bien être conscient que ce n’est pas considéré comme un travail stable à durée indéterminée vous offrant contrat de travail et fiches de paie. Vous pouvez gagner 3 500€ par mois, vous aurez malgré tout énormément de difficultés à louer un appartement à 750€, sans parler de l’obtention d’un prêt.
Travailler en freelance vous oblige aussi à être très organisé et rigoureux. Travailler en pyjama et pouvoir partir en vacances à tout moment, c’est super sympa, mais il ne faut pas oublier que vous avez des responsabilités, des comptes à rendre et des délais à tenir.
Es-tu plutôt Facebook ou Twitter ?
Twitter. J’aime le côté court et instantané des tweets et le côté « impersonnel » de la chose aussi – à moins d’aller directement sur le profil d’une personne nous ne sommes qu’un parmi tant d’autres : les gens lisent les tweets avant de savoir qui l’a posté. Je trouve cela plus « libérateur », parce que parfois on a envie de dire quelque chose, mais on n’a pas forcément envie d’avoir une réponse – et encore moins de voir des gens se disputer en commentaires sous ledit post. Et puis un tweet, c’est toujours un petit défi à relever : donner le plus d’informations possibles en 140 caractères et sans faire de fautes.
Quelles sont les idées reçues que tu entends le plus sur ton métier ? Celles qui t’énervent comme celles qui te font rire ?
Beaucoup de personnes pensent qu’un CM passe ses journées sur Facebook à glander les pieds sur le bureau. D’autres que tout le monde peut devenir Community Manager, du moment qu’ils connaissent les réseaux sociaux. Mais aucune ne m’énerve vraiment car la plupart du temps c’est tout simplement parce qu’ils ne connaissent pas le métier. Quand les gens me demandent ce que je fais dans la vie, je les sens un peu décontenancés quand je leur explique, ils ont parfois du mal à comprendre en quoi partager des informations sur Twitter ou Facebook peut être un vrai métier. Eux aussi aimeraient bien passer leur journée à tweeter et mettre à jour leur statut sur Facebook.
Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’être CM c’est avant tout être polyvalent. Un community manager fait de la communication, du marketing, des relations presse/blogs, de l’événementiel, du graphisme etc. Et parfois, tout ça dans la même journée. Il arrive qu’on ne passe que 20min sur Facebook, le temps de poster une photo et de répondre aux messages.
Il faut être capable d’adapter le discours et le contenu aux réseaux et aux lecteurs : une information ne sera pas formulée de la même façon selon si on en parle sur Twitter, Facebook ou Instagram, tout comme le ton employé sera différent selon l’édition et la collection – il est plus facile d’adopter un ton familier et décalé pour parler de littérature young adult que des parutions de la collection Bouquins.
Quels sont tes livres de chevet ? Ceux que tu conseillerais absolument, comme ceux que tu lis en ce moment ?
En ce moment je lis I.G.H. de J.G. Ballard, un roman de science-fiction assez incroyable qui fait ressurgir le pire qu’il y a en chaque être humain et laissera peu de gens indifférents (et qui vous coupera toute envie de vivre un jour dans un immeuble de plus de 5 étages). Je suis incapable de lire plus d’un livre à la fois, donc c’est le seul que je lis en ce moment. Dans ceux que je conseillerais absolument, il y en a quatre : Persuasion de Jane Austen car il est mon préféré de l’auteur et que je ne me lasse pas de lire et relire. Ella l’ensorcelée de Gail Carson Levine, j’ai découvert ce roman quand j’avais 10 ans et jusqu’à il y a deux ou trois ans, je m’en faisais une lecture annuelle. Eureka Street de Robert McLiam Wilson et La Voleuse de livres de Markus Zusak qui m’ont tous deux laissé une forte impression lors de la lecture il y a de nombreuses années et qu’aujourd’hui encore je n’ai pas le courage de relire (bien que l’envie soit là).
Quel genre de lectrice es-tu en règle générale ?
Je suis une lectrice curieuse qui se laisse beaucoup guider par son humeur du moment. Je vois passer beaucoup de commentaires de blogueuses qui se vantent d’avoir lu près de 100 livres cette année. Mais je vois aussi beaucoup d’avis négatifs. J’en ai lu 12 et demi pour ma part et il n’y en a que deux que j’ai moyennent appréciés. Fut un temps où j’enchaînais les lectures, me retrouvant parfois avec deux livres dans le sac car le premier était bientôt fini. Je lisais surtout « les livres du moment » au détriment de livres moins connus, sortis il y a plus longtemps et qui étaient bien plus intéressants. Depuis que j’ai commencé à travailler en freelance, je lis beaucoup moins (je lisais énormément dans les transports et à la Médiathèque), désormais je lis quand j’ai envie de lire et ce que j’ai envie de lire, ce qui me permet d’apprécier la grande majorité de mes lectures.
Comment imagines-tu le métier de CM dans le milieu du livre dans 5 ans ?
Je l’imagine plus intégré au milieu que maintenant. Les éditeurs font de plus en plus appel à des Community Manager car ils mesurent l’importance des réseaux sociaux. Malheureusement, rares sont ceux qui optent pour recruter un CM en interne, ils font la plupart du temps appel à des stagiaires ou des freelance. Certes, un CM peut tout à fait gérer les pages à distance, c’est là tout l’intérêt du web. Mais il est aussi difficile d’établir une vraie stratégie et une vraie relation avec les internautes quand le CM change tous les 4 à 6 mois ou bien quand il n’est pas sur place et n’a donc pas accès aux informations en temps réel.
Tu es également blogueuse. Arrives-tu à mettre en pause ton cerveau de CM quand tu t’en occupes ?
Tout à fait oui, car je blogue avant tout pour le plaisir. Je ne cherche pas à me faire connaître, à obtenir des partenariats avec des éditeurs ou des agences ou à être invitée à tout un tas d’événements. Je n’ai donc pas à réfléchir à la meilleure stratégie pour me mettre en avant et ‘vendre’ mon blog. C’est aussi pour ça que je n’utilise mes comptes Twitter, FB et Instagram que pour un usage personnel, je n’y partage rien (ou alors vraiment très rarement) qui soit en rapport avec le travail ou le community management en général; je n’ai pas non plus de comptes professionnels. J’arrive donc assez facilement à faire la part des choses entre la blogueuse et la CM.
En fait, la question aurait pu être tournée dans l’autre sens ‘est-ce que j’arrive à mettre en pause mon cerveau de blogueuse quand je joue les CM ?’ Là, c’est souvent non, mais c’est plutôt une bonne chose. J’essaye de me mettre le plus possible dans la peau du lecteur ou du blogueur qui suit nos pages et donc de réfléchir à un contenu qui m’intéresserait moi, en tant que lectrice et blogueuse.
Merci à Filipa pour le temps qu’elle nous a consacré ! Nous vous invitons à aller jeter un œil à son blog.
Un article, une fois de plus, passionnant !
Ma soeur est également CM mais pas dans le milieu éditorial. Cet article fut-encore une fois- très intéressant! 🙂