ROMAN SULFUREUX — On dit souvent de Poppy Z. Brite qu’elle est la cousine trash d’Anne Rice : une analogie probablement due à leur amour commun de la Nouvelle-Orléans et des vampires. Trash est un adjectif qui se prête en effet bien volontiers à l’oeuvre de Poppy Z. Brite, connue pour ses romans provocateurs n’hésitant pas à franchir allègrement les tabous les plus solidement ancrés… Dans Le Corps exquis, elle évoque ainsi la nécrophilie et le cannibalisme : autant vous le dire tout net, ce n’est pas un roman pour fillettes !
Le roman de Poppy Z. Brite suscite sur la toile de très nombreuses et de très variées réactions : certains crient au chef-d’oeuvre, estimant avoir trouvé la chef de file de toute une culture underground de la transgression, d’autres s’insurgent contre un roman jugé odieux, dégoûtant et tordu, voire même à vomir. Les œuvres qui provoquent des réactions aussi extrêmes sont toujours fascinantes : on ne sait jamais dans quel camp on va se retrouver après lecture.
Le Corps exquis, aussi étrange que cela puisse sembler, est une histoire d’amour. Oui, vous avez bien lu : il s’agit d’une histoire d’amour entre deux serial killers, l’un aimant tout particulièrement s’adonner à la nécrophilie, et l’autre ayant un coup de cœur marqué pour la chair humaine. Lorsqu’Andrew, serial killer britannique condamné à la fin des années 80 pour vingt-trois meurtres, s’enfuit et trouve refuge à la Nouvelle-Orléans, son chemin ne pouvait manquer de croiser celui de Jay, sorte d’héritier cajun décadent, régnant sur une antique demeure de Royal Street où il commet les pires atrocités sur les fugueurs et les garçons perdus de la région.
Lorsqu’on lit sur la toile que Poppy Z. Brite aurait eu du mal à faire publier son roman, nous ne sommes pas vraiment étonnés. Le Corps exquis, c’est une surenchère de scènes insoutenables qu’on lit pourtant avec une sorte de fascination morbide impossible à dépasser. A la lecture de ce roman, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il se passe dans la tête de Poppy Z. Brite, qui semble prendre tellement de plaisir à jongler avec l’innommable : le pire étant ce qu’elle ne dit pas, mais que le lecteur devine parfaitement. Jay, par exemple, est devenu avec le temps un véritable expert de la mort et de la douleur, et on n’ose imaginer ce dont il a déjà été capable… le peu que nous montre Poppy Z. Brite est déjà trop. Ce qui est déroutant, c’est qu’elle n’hésite pas à utiliser la première personne du singulier pour donner voix à Andrew. Si vous vouliez savoir ce qui se passe directement dans la tête d’un serial killer, vous serez servi ! Cerise sur le gâteau, Jay et Andrew s’inspirent tous deux de personnes ayant vraiment existé, respectivement Jeffrey Dahmer et Dennis Nilsen. Cela fait doublement froid dans le dos. La sensation de malaise est persistante tout au long de la lecture.
Sorti dans les années 90, Le Corps exquis est par ailleurs une peinture assez pessimiste du monde gay de l’époque, ravagé par le sida, et toujours aux prises avec les préjugés de la population. Aucune lueur d’espoir ne ressort de ce livre, et la Nouvelle-Orléans apparaît plus corrompue que jamais…
Si vous avez aimé American Psycho, vous aimerez probablement Le Corps exquis. Cependant, âmes sensibles s’abstenir ! C’est une expérience assez déroutante, et un livre dont il est difficile, après lecture, de se demander si on l’a aimé ou non…
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