Landfall : et Katrina frappa…

KATRINA — Les choix éditoriaux de Gallmeister sont reconnus, tout particulièrement aux yeux des lecteurs férus de littérature américaine. Aussi, lorsque l’on se plonge dans Landfall, c’est en toute confiance : de plus, Ellen Urbani, son auteur, a été adoubée par Pat Conroy et Fannie Flagg eux-mêmes, deux des porte-paroles les plus connus de la littérature du sud des Etats-Unis. Confiance amplement récompensée, car Landfall est un récit maîtrisé de bout en bout, avec une charge sensible indéniable.

Souvenez-vous : il y a un peu plus de dix ans, l’ouragan Katrina frappait violemment le sud des Etats-Unis, et tout particulièrement la ville de La Nouvelle Orléans, semant mort et destruction sur son passage. En quelques jours, le chaos s’est abattu sur la Big Easy : les digues ont cédé sous la pression du fleuve. Certains quartiers ont été submergés sous plusieurs mètres d’eau. Ce fut une catastrophe naturelle et humanitaire sans précédent pour la ville, pourtant habituée au climat capricieux de la région.

Un matin de septembre 2005, Rose, une jeune fille de l’Alabama, prend la route avec sa mère Gertrude pour aller apporter quelques biens de première nécessité aux habitants de La Nouvelle Orléans. Mais il suffit parfois d’un rien pour chambouler les plans les mieux conçus. Sur la route, Gertrude et Rose se disputent : une chicane anodine en apparence, mais qui entraîne cette fois une sortie de route. Dans l’accident, Gertrude est tuée… de même qu’une jeune fille qui marchait le long de la route, et qui a été fauchée par la voiture des deux femmes.

Cette jeune fille va bientôt obséder Rose : qui était-elle ? Que faisait-elle sur cette route, seule, avec dans la poche une page d’annuaire où apparaît notamment le nom de Rose ? Rose décide d’en savoir plus sur cette inconnue : elle découvre qu’elle s’appelait Rosy, et venait de La Nouvelle-Orléans. Alors que Rose retrace les derniers jours de Rosy, le lecteur découvre deux voix, celle d’une jeune fille blanche, et celle d’une jeune fille noire, toutes deux au cœur de leur propre tempête personnelle.

Landfall, Ellen Urbani, Gallmeister

C’est un roman magistral que nous livre Ellen Urbani : maîtrisant à la perfection l’art du portrait, elle crée deux personnages d’une justesse incroyable, dont les destins semblent se répondre en miroir. Rose et Rosy ont plus de points communs qu’on ne pourrait le croire : du même âge, les jeunes filles ont toutes deux grandi sans père, aux côtés d’une mère qui était tout leur monde. Un background familial plutôt chiche et des mères hantées par un profond sentiment de perte (leur conjoint, mais également leur propre figure maternelle, sa mère morte en couches pour Gertrude, et sa grand-mère pour Cilla, la mère de Rosy) ont modelé Rose et Rosy, si bien que l’une semble faire écho à l’autre… et vice-versa. Elles auraient pu être amies, si les circonstances n’avaient pas été aussi tragiques.

Car Katrina a frappé. Ellen Urbani décrit avec précision les heures qui ont précédé la catastrophe, la tempête, puis l’inexorable montée des eaux. Elle nous montre les maisons emportées, ces gens qui ont tout perdu, et la mort qui rôde, en arrière-plan, tandis que les flots montent et que Rosy et sa mère se réfugient dans l’unique maison en brique de leur rue, espérant survivre dans son grenier. Ce sont des pages terribles, mais nécessaires. On nous montre une ville dépassée par les événements, où règnent la terreur et le chaos, et la règle du « chacun pour soi », comme en témoigne la fermeture du pont de Gretna, seule issue pour les Néo-Orléanais affamés et assoiffés qui tentaient de fuir la ville. Le lecteur est choqué, attristé, indigné… Il passe par toute une palette d’émotions, mais celle qui domine est sans doute l’empathie. Car, tout au long du livre, on s’attache à ces femmes, à Rose et à Rosy mais également à Gertrude et à Cilla. On espère sincèrement que Rose parviendra à se libérer de son traumatisme et à se diriger plus sereinement vers l’âge adulte.

Véritable quête identitaire, Landfall nous montre une jeune femme qui tente de faire son deuil, et de réparer le mal qu’elle pense avoir commis. Chemin faisant, elle en apprend davantage sur elle-même, et sur sa mère qui vient de mourir. On aurait aimé qu’elle puisse devenir adulte dans un contexte différent mais alors, il n’y aurait pas eu de roman. Or il serait dommage de passer à côté de Landfall. Un grand moment de littérature américaine !

Landfall, Ellen Urbani. Gallmeister, mars 2016. Traduit de l’anglais par Juliane Nivelt.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

4 Commentaires

  1. Thank you so very much for so thoughtfully reading and reviewing my book, LANDFALL. Many thanks, also, to Gallmeister and translator Juliane Nivelt, for bringing my words to life in French. I look forward to touring France in May with the book!

    • Thank YOU for this amazing book. New Orleans is a city I really care about, and it was a pleasure reading about it, even in hard times. 🙂

  2. J’aime beaucoup les éditions Gallmeister et j’avais également repéré ce titre. Plus qu’à l’acheter 🙂

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