SORCELLERIE — Millenium, L’Hypnotiseur, La Princesse des glaces… sont autant de titres connus du public. On connaît les polars venus du froid, et l’engouement qu’ils ont suscité. On connaît moins, en revanche, les romans fantastiques venus du même endroit. Et lorsqu’ils sont de la même qualité que Le Cercle des jeunes élues, c’est un peu dommage.
Engelsfors. Petite ville suédoise déprimante, entourée d’immenses forêts, où l’ennui cristallise aussi bien que les flocons, petite ville morne où il ne se passe rien et où l’avenir semble excessivement bouché ; tous les adolescents rêvent de quitter cet affreux trou perdu.
Mais lorsque le cadavre d’un élève est retrouvé dans les toilettes du lycée, l’effervescence s’empare de la petite ville. Un suicide d’adolescent à Engelsfors, du jamais vu ? Tout le monde semble persuadé cet élève – gothique, camé, insolent – n’a eu que ce qu’il méritait.
Pour Ida, Linnéa, Vanessa, Anna-Karin, Rebecka et Minoo, liées de près à ce décès, et les seules à ne pas croire à ce suicide, rien ne sera plus jamais pareil. A peine Elias est-il mort qu’elles développent subitement des pouvoirs magiques aux effets dévastateurs. Il semblerait en outre qu’elles soient vouées à travailler main dans la main, si elles ne veulent pas que leur bel avenir prometteur se transforme en bref et funeste destin, la faute à de sombres forces s’amassant autour de la ville. Unir leurs forces est désormais leur meilleure chance de survie.
On entre dans Le Cercle des Jeunes élues par une rapide présentation des personnages, via des tranches de vie prises sur le vif. Les filles ont des caractères, des aptitudes, et des envies bien différentes : on ne se perd jamais entre les nombreux personnages et il y en a pour tous les goûts. Il est très facile de s’attacher aux filles, ou de s’identifier à l’une ou à l’autre. Le point de vue se déplace de fille en fille, et le lecteur sait presque tout : presque car, s’il faut admirer l’extrême minutie avec laquelle tous les personnages ont été construits et mis en scène, on remarque qu’Ida est très largement sous-exploitée… peut-être pour préparer un retour en force dans le tome 2 (lequel paraîtra chez Fleuve Noir en mai 2016), qui sait ?
Dès le départ, on remarque que quelque chose ne tourne pas rond, à Engelsfors – en dehors du fait qu’un cadavre a été découvert au lycée, bien sûr. L’ambiance est pesante, le malaise perceptible. On baigne dans une sorte de suspicion permanente : on ne sait pas de quoi il retourne exactement, mais on sent que ça va être glauque et désagréable. Le mystère est bien entretenu, et l’histoire se lance rapidement. Le style des auteurs, vif, rend le récit très prenant, bien qu’un certain nombre de clichés de la fantasy urbaine soient réutilisés. On trouvera donc dans Le Cercle des jeunes élues une prophétie ancestrale, des personnages amenés à s’unir pour lutter, une vieille malédiction, des pouvoirs étranges… Tout cela est même un peu déjà vu.
Ce qui tire vraiment le roman hors des sentiers battus, c’est le traitement accordé aux personnages : ce sont des adolescentes, bien différentes, avec des aspirations, des vies et des capacités différentes. Chacune se débat avec un certain nombre de problèmes fréquents à l’adolescence – tous n’ayant, évidemment, pas la même gravité : de celle en conflit avec sa mère et son beau-père à celle à qui tout réussit mais souffre en silence, un large panel de thèmes sont représentés. Ajoutez à cela des pouvoirs fabuleux, et vous comprendrez vite qu’une partie des filles tentera de résoudre ses problèmes grâce à la magie. Tout cela a des allures de Dangereuse alliance, le film d’Andrew Fleming (1996, avec Robin Tunney, Neve Campbell et Fairuza Balk), y compris dans les conséquences qu’auront leurs actes. Sous couvert de l’histoire fantastique, on aborde les histoires et personnalités des filles, sans que l’histoire principale (la quête) soit reléguée au dernier plan. Cet aspect du vécu donne au roman fantastique un vernis réaliste extrêmement réussi et efficace, et c’est un gros point fort du roman.
Sara B. Elfgren et Mats Strandberg proposent donc un roman à quatre mains très réussi qui, s’il reprend quelques lieux communs de la fantasy urbaine, sait sortir des sentiers battus en proposant des personnages agréablement travaillés, qui inscrivent l’intrigue dans une veine résolument réaliste, flirtant avec le thriller et le roman d’apprentissage. On attend donc impatiemment la suite !
Notez que le roman fait l’objet d’une adaptation qui paraît directement en DVD et qui sait retranscrire l’ambiance à la fois oppressante et envoûtante du récit !
Ouuuh, que voilà un avis tentant ! Je le note, il m’intrigue beaucoup 😀
Ha, ça me fait plaisir, Bouchon, j’étais horriblement déçue de voir que ce roman n’avait pas pris !