Un roman contagieux : La Cuisinière

La Cuisinière, Mary Beth Keane

NEW YORK — Son nom est resté dans la postérité, mais pas pour de bonnes raisons. Mais qui était véritablement Typhoid Mary, la femme que l’on a accusée d’avoir contaminé des dizaines de personnes au fil de sa carrière de cuisinière ? Mary Beth Keane se penche sur le destin d’une femme jugée à son époque « la femme la plus dangereuse d’Amérique ».

Mary Mallon, en apparence, est une New-yorkaise comme les autres : arrivée tout droit de son Irlande natale à la fin du XIXe siècle, elle travaille dur depuis des années pour survivre dans une des plus grandes villes d’Amérique. Vivant dans le péché avec Alfred, un homme bon mais porté sur la boisson, Mary travaille comme cuisinière pour de riches familles de Manhattan, s’étant taillé une solide réputation. Mais sa vie bascule le jour où elle est brutalement arrêtée et emprisonnée. On lui apprend que, bien qu’elle n’ait jamais été malade elle-même, elle transmet vraisemblablement la typhoïde aux gens pour qui elle cuisine. On l’accuse de plusieurs morts, et de nombreux cas de maladie déclarés et on la force à se prêter à de nombreux examens, sans l’écouter se défendre. Bientôt, on l’envoie en quarantaine sur une île au large de Manhattan. Pour Mary, le combat ne fait que commencer.

Récit historique méticuleusement documenté, car basé sur des faits historiques, La Cuisinière nous plonge dans l’intimité et les pensées d’une femme piégée par des médecins qui, sous couvert de protéger la population d’un danger sanitaire important, font de Mary un véritable cobaye de laboratoire, la privant de liberté pour mieux l’observer. Pour la jeune femme, c’est un chemin de croix qui s’amorce : quand pourra-t-elle quitter l’île de North Brother ? Son compagnon aura-t-il la patience de l’attendre, alors que sa réclusion commence à durer ? Pourra-t-elle retrouver du travail ? Et surtout, est-elle vraiment responsable de ce dont on l’accuse ? Mary n’y croit tout d’abord pas : d’une robustesse et d’une santé qui sautant aux yeux, Mary n’a jamais été malade : comment, dans ces conditions, pourrait-elle transmettre la typhoïde ?

Mary Beth Keane a choisi d’alterner entre présent et passé, n’hésitant pas à émailler la ligne temporelle principale du récit de nombreux souvenirs, ce qui nous permet de connaître Mary comme une vieille amie. Son mode de pensée, de fonctionnement, nous est dès lors bien connu. Nous comprenons sa révolte, son sentiment d’impuissance, son envie d’en découdre. Nous ressentons sa fierté, son plaisir de cuisiner, son envie d’une vie simple et heureuse comme auparavant, une vie qu’elle ne savait pas véritablement apprécier avant d’en être brutalement privée.

La vie new-yorkaise telle que le montre le roman n’a pourtant rien de bien séduisant : Mary Beth Keane prend soin de nous décrire les immeubles insalubres, les rues jonchées de tas d’ordures, le linge qui sèche aux étroits escaliers de secours. La description est très vivante, on s’y verrait presque ! Mary, elle, est amenée à évoluer dans des lieux bien plus reluisants : c’est l’intérieur des foyers de Park Avenue et des quartiers huppés de New York que nous découvrons en la suivant dans ces différents emplois. Ce New York, tout en contraste, est extrêmement dynamique et véritablement bien décrit.

Ce que Mary Beth Keane montre également avec talent, ce sont les tâtonnements de la médecine. La brigade de médecins qui se penche sur l’affaire Mary Mallon découvre tout juste la possibilité d’être « porteur sain » d’une maladie. Ils multiplient les hypothèses, les expériences, suggérant même une opération qui s’avère par la suite inutile. Ils oeuvrent parfois aux confins de la loi, ce qui pose une question hautement intéressante : peut-on mettre la vie de quelqu’un sur pause, juste par précaution, dans l’espoir d’en sauver des dizaines d’autres ? La liberté de quelqu’un peut-elle être entravée sur la base de soupçons et d’hypothèses difficilement vérifiables ?

Le cas Mary Mallon a fait couler beaucoup d’encre : ce roman nous brosse le portrait d’une femme indépendante et résolument moderne, prise dans un engrenage terrible, dans une affaire qui la dépasse. Difficile de ne pas être ému par Mary !

La Cuisinière, Mary Beth Keane. 10/18, 2016. Traduit de l’anglais par Françoise Pertat.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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