ROMAN HISTORIQUE — Ruta Sepetys a déjà trois romans historiques, dont deux spécifiquement destinés aux adolescents à son actif et l’on peut dire qu’elle fait l’unanimité au sein de la rédaction : Elora a été bouleversée par Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre, Emily enthousiasmée par Big Easy ; et revoilà un coup de cœur pour Ruta Sepetys avec son dernier roman, Le Sel de nos larmes.
Car Ruta Sepetys s’y entend pour nous faire revivre ce qu’ont traversé ses personnages. Comme pour son premier roman, elle explore un fait méconnu de la Deuxième Guerre mondiale : le tragique naufrage du Wilhelm Gustloff, une des pires catastrophes maritimes de l’Histoire et dont, fait surprenant, on n’entend jamais parler.
On découvre donc Johanna, une jeune infirmière lituanienne d’une vingtaine d’années, qui a appris le métier sur le tas et fuit avec d’autres réfugiés la débâcle allemande. Johanna est la cousine de Lina, que l’on découvrait dans Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre, la destinataire de la lettre inachevée de Lina au début du roman. Johanna voyage en compagnie d’un petit groupe, constitué d’Eva, une femme qui passe son temps à se plaindre, du cordonnier poète, un homme capable de lire l’histoire rien qu’en regardant leurs chaussures, de Klaus, le Petit Garçon Perdu, qui n’est autre qu’un avatar du père de l’auteur et d’Ingrid, une jeune aveugle qui a tout intérêt à fuir l’Allemagne nazie. À ce groupe s’ajoutent bientôt Emilia, une jeune Polonaise, et Florian, un déserteur Prussien qui se fait passer pour le courrier personnel d’Erich Koch. Florian a, à l’insu de son plein gré, sauvé Emilia d’un sort funeste.
L’histoire est narrée, tour à tour, par Florian, Emilia, Johanna et Alfred, un jeune matelot pro-nazi à bord du Gustloff et préparant l’arrivée des réfugiés.
Les chapitres sont extrêmement courts (4 à 5 pages maximum), ce qui instaure un suspens incroyable. Celui-ci n’est que renforcé par la sensation d’une catastrophe imminente : en effet, on comprend assez vite que le groupe court à une mort certaine et, au fil des pages, on appréhende de plus en plus ce qu’il va advenir d’eux. Ruta Sepetys s’y entend parfaitement pour donner à ses personnages une consistance : quels qu’ils soient, ils sont très humains, et on ne peut que ressentir de l’empathie envers eux – y compris vers l’odieux Alfred, qui n’est autre qu’un gentil benêt embrigadé comme il y en a tant eu.
Mais Le Sel de nos larmes n’est pas qu’un roman sur une tragédie de guerre. En faisant de la fuite du groupe la majeure partie du roman, Ruta Sepetys donne une voix à tous les réfugiés de ce monde : les réfugiés des grandes guerres, mondiales, mais aussi ceux qui, aujourd’hui, se voient obligés de quitter leur foyer pour fuir devant la barbarie.
Comme dans ses deux premiers romans, Ruta Sepetys dispense une excellente leçon d’Histoire via la fiction, sans forcer le trait, sans rendre le discours pompeux. Elle donne littéralement vie à ses personnages et, à leurs côtés, on angoisse, on espère, on se réjouit. Le roman prend littéralement aux tripes par son sujet et par la façon dont l’auteur a choisi de le traiter et par la résonance qu’il prend avec notre présent. Que vous aimiez l’Histoire ou non, Le Sel de nos larmes est une lecture dont il ne faut pas faire l’économie !
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