ROMAN ADOLESCENT — Avec quelques 60 romans jeunesse au compteur, Brigitte Smadja a enchanté plusieurs générations de jeunes lecteurs ; Le cœur est un muscle fragile, son dernier roman pour adolescents en date, ne déroge pas à la règle.
Simon Peretti, presque quinze années, amateur de hard métal, d’Erik Sattie et d’Eminem, photographe de ciels et de nuages, persuadé à 8 ans de l’imminence de la mort de son père, a des centaines d’amis sur Facebook depuis qu’il est devenu la coqueluche du lycée. La raison de son immense et soudaine popularité ? Il a réussi à conquérir la fille la plus mystérieuse du quartier, une terreur, une dure à cuire, la légendaire Thelma qui règne de main de maître sur les bandes de petits loubards et fait régner sa loi. C’est sûr : on les a vus ensemble, on les a même pris en photo.
Simon est donc prié de narrer son exploit, d’alimenter la légende, laquelle enfle de plus en plus sur les réseaux sociaux et échappe totalement au principal intéressé. Mais Simon se tait et refuse d’en dire davantage, y compris à Léonard et Nessim, pourtant ses presque-frères depuis leur plus tendre enfance. Tout le monde patiente, car Simon a promis de leur parler. Bientôt, mais pas maintenant.
Or, alors que tout semble se stabiliser, il suffit d’un petit commentaire assassin sur Facebook et d’un pauvre week-end pour que sa vie bascule. Comment, pourquoi en sont-ils arrivés là tous les trois, triade inséparable, justement ce lundi où Simon s’apprêtait à leur présenter la fille qu’il aime le plus au monde ?
Pour le comprendre, il faudra remonter le temps, revenir jusqu’à la rencontre entre les trois garçons, ce jour d’école où Simon, 8 ans, annonce de but en blanc que son grand-père qui vient le chercher à l’école est en fait son père, et qu’il peut mourir d’un jour à l’autre du fait de son grand âge. Au fil des pages, l’amitié entre les trois garçons se construit, se cimente, s’effiloche parfois, revient plus forte que jamais.
Simon nous raconte par bribes son passé, qui vient s’entremêler au présent avec un naturel confondant. On passe de l’un à l’autre sans jamais se perdre ni se lasser, tout en se demandant comment s’articulent les différents protagonistes et comment va venir la conclusion.
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, Le cœur est un muscle fragile n’est pas qu’un roman sur le harcèlement scolaire et le lynchage virtuel. À vrai dire, le thème, quoique central, occupe la portion congrue. En réalité, le roman est un portrait sans fards, mais néanmoins très juste, d’une adolescence au XXIe siècle, quelque part en banlieue parisienne. Les doutes de Simon, ses préoccupations, ses errements sentimentaux, tout y passe. L’ensemble est d’ailleurs assez sombre et suscite la nostalgie mais le tout est porté par une écriture aussi nerveuse que lumineuse qui, loin de plomber l’ambiance, donne au roman un élan très porteur. Si la période que traverse Simon est éminemment difficile, elle est traversée par quelques rayons de soleil qui évitent au roman de tomber dans le pathos.
En somme, Brigitte Smadja parvient à saisir à merveille l’adolescence. Famille, amitié, amour, lycée, réseaux sociaux, phénomènes de groupe, découvertes, explorations, questionnements, émaillent le parcours de Simon. Le récit est parfois sombre, à l’image de ce que traverse Simon, mais aussi truffé de petits détails qui remettent du baume au cœur, porté par une poésie sensible qui rend le portrait saisissant. Un roman fort et touchant, qui parvient à saisir toute la beauté et la complexité de l’adolescence, sans commisération. Chapeau !
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