LIVRES — Durant deux mois, nous avons été priés de rester chez nous et de limiter nos sorties au maximum. Si certaines librairies ont pu développer un service de retrait, la majorité a dû fermer totalement ses portes. Et pour tous ceux qui habitent loin, très loin, du moindre étal de livre, il était de toute façon difficile de renouveler sa pile à lire.
Conséquence ? De nombreux livres, parus juste avant le confinement (ou pendant, en numérique), n’auront bénéficié d’aucun temps d’exposition en librairie. Celui-ci est déjà bien assez court en temps normal au vu de la production littéraire et ne permet pas à tous les titres de tirer leur épingle du jeu. Vous imaginez donc bien que période de confinement = pas d’exposition = risque de passer direct au pilon.
Or, voilà : juste avant le confinement, ou pendant, nous avons lu des livres concernés par ce risque, que nous avons aimés, et auxquels nous aimerions éviter ce triste sort !
RAYON JEUNESSE :
C’est pas ma faute, Samantha Bailly et Anne-Fleur Multon (Pocket jeunesse).
De quoi ça parle ?
Lolita est une influenceuse beauté célèbre sur les réseaux sociaux. Pourtant, après un vilain bad buzz, elle disparaît totalement de la circulation, sans le moindre avertissement ou le moindre signe à ses abonnés. Prudence, justement, fait partie de ces abonnés (elle est même sans doute la plus grande des fans de Lolita). Pour elle, tout cela n’est pas normal : la disparition de Lolita est louche. Alors qu’elle a une scolarité brillante à réussir et un rôle à répéter dans un ballet, la voici qui se lance dans l’enquête…
Pourquoi on a aimé ?
Parce que, aussi bizarre cela puisse-t-il paraître, il mêle avec brio thriller et feel-good. Résultat ? La lecture est hyper prenante, avec un côté réconfortant et plaisant qui ne donne absolument pas envie d’en sortir ! Au fil de l’enquête, les autrices traitent une foultitude de sujets très ancrés dans la réalité : il est évidemment question de cyberharcèlement, d’apparence, des dangers des réseaux sociaux, mais aussi d’amitié, d’amour, de racisme, et de maladie mentale. C’est trop ? ça aurait pu, sauf que chaque sujet est traité avec justesse et bienveillance, sous toutefois sombrer dans le politiquement correct et moralisateur. C’est franchement pas évident de parvenir à marcher sur cette corde raide… mais elles l’ont fait ! Point bonus : si le texte est destiné aux adolescents, il plaira sans doute aussi à des adultes !
Les informations : C’est pas ma faute, Anne-Fleur Multon et Samantha Bailly. Pocket jeunesse, 12 mars 2020.
La Fille qui pouvait voler, Victoria Forester (Lumen).
De quoi ça parle ?
Piper McNimbus est une petite fille un peu particulière puisqu’elle sait voler : pour elle, rien de plus naturel que de flotter au dessus de sa chaise et d’enchaîner les loopings dans le ciel autour de la maison. Mais ses parents sont terrifiés à l’idée que quelqu’un découvre son don. Ils décident donc de la dissimuler aux yeux du monde : école à la maison, pas de sorties, pas de contacts avec les voisins. Jusqu’à ce fameux jour de fête nationale où Piper est autorisée à se mêler à la foule … et dévoile par erreur son don à l’intégralité des habitants de sa ville ! Le secret est vite éventé et arrive jusqu’aux oreilles du Dr Inferna, qui va alors recruter Piper dans son école top-secrète, réservée aux enfants doués de capacités extraordinaires. Mais les apparences sont parfois trompeuses …
Pourquoi on a aimé ?
Parce que c’est frais, dynamique et touchant ! Et puis, quand on a 11 ans et qu’on n’a pas encore reçu sa lettre d’admission à Poudlard, c’est typiquement le genre de lecture qui nous fait rêver. Car Piper découvre en fait une école un peu comme dans X-Men, où chacun croit venir pour apprendre à contrôler ses pouvoirs … Sauf que le Dr Inferna n’est pas aussi bien intentionnée qu’on pourrait le croire et Piper ne tarde pas à le découvrir à ses dépens. Commence alors l’élaboration d’un plan d’envergure pour s’échapper, au cours duquel on découvre les personnalités attachantes de tous ses camarades (oui, oui, même le petit génie plus qu’agaçant du début parvient à nous attendrir !). En résumé, un chouette roman initiatique qui sera parfait pour les lecteurs dès 10 ans !
Point bonus : on nous annonce une trilogie !
Les informations : La Fille qui pouvait voler, Victoria Forester. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Raphaëlle Pache. Lumen, mars 2020.
Bordeterre, Julia Thévenot (Sarbacane).
De quoi ça parle ?
Bordeterre nous conte les péripéties d’Inès, 12 ans et de son grand frère Tristan. Ils sont aussi unis que possible malgré leurs différences : car si Inès est plutôt débrouillarde et très bagarreuse pour son âge, c’est surtout qu’elle se doit de défendre ce grand frère un peu atypique et déconnecté des réalités, au point de se mettre parfois en danger. Leur quotidien se voit bouleversé lorsqu’au hasard d’une promenade, leur chien Pégase les fait traverser malgré eux une faille vers un univers parallèle. Là, ils découvrent l’étrange ville de Bordeterre, qu’il est impossible de quitter. Inès est ravie de se découvrir un nouveau terrain de jeu, mais Tristan sent bien que cette ville a quelque chose de malsain. Et les événements ne tardent pas à lui donner raison …
Pourquoi on a aimé ?
Un seul mot : l’originalité ! Ici, la magie bouscule les codes. Exit les baguettes magiques, les runes et autres incantations. Ce qui fait tourner le monde, c’est le pouvoir des mots : les enfants chantent la fameuse comptine “Meunier, tu dors” pour faire tourner les moulins et Jean-Jacques Goldman permet de s’envoler ! C’est donc une ode à la chanson française, mais pas seulement, puisque la poésie possède elle aussi des pouvoirs certains. Et quel plaisir de voir les chansons et les poésies qui ont jalonné notre vie que de ressurgir au gré des besoins des personnages. En chanson donc, mais pas forcément enchanteur. Car Bordeterre possède son lot de misère : les enfants sont esclaves, les libertés sont restreintes et seule une minorité de nobles règne sur la ville dans des conditions de luxe extravagantes. Les thèmes abordés sont vibrants et méritent de résonner en chacun de nous !
Point bonus : une bande son bien détaillée à la fin du livre, et une couverture sobre et percutante !
Les informations : Bordeterre, Julia Thévenot. Sarbacane, mars 2020.
RAYON FANTASY :
Récits du Demi-Loup, tome 4, Clémente nous soit la pluie, de Chloé Chevalier
De quoi ça parle ?
C’est le dernier tome d’une série génialissime, que tout amateur de fantasy devrait lire. Dans les trois tomes précédents, on suivait les pérégrinations (pour faire simple) de la famille royale du Demi-Loup : Malvane et Calvina, les princesses cousines, chacune héritière d’un domaine, et leurs Suivante (des conseillères puissantes) respectives, Cathelle, Nersès et Lufthilde. Suite à une sombre histoire de jalousie, une des cinq jeunes femmes claque la porte de la royauté et fomente un petit coup d’état des familles dans son coin – lequel a le temps de mûrir durant trois tomes. Il faut aussi ajouter le fait que l’Empire de l’Est, le voisin, est non seulement immensément plus grand, mais aussi nettement mieux instruit et armé que le Demi-Loup. Et qu’il est gourmand. Ha, et il a aussi un remède à l’épidémie qui dévaste le royaume. Vous le voyez venir ? Oui, ce tome 4 est celui des derniers espoirs et des derniers sacrifices.
Pourquoi on a aimé ?
Déjà parce que les aficionados l’attendaient depuis presque 3 ans. Et que ça en valait la peine ! Rien que pour ça, la série ne mérite pas de tomber dans l’oubli.
Depuis le début, l’autrice a choisi un système narratif original et audacieux puisque Les Récits du Demi-Loup se présente comme un roman épistolaire. On ne lit l’histoire que dans les journaux intimes des narrateurs, ou dans leurs échanges de correspondances. Normalement, à ce stade, cela vous rappelle de mauvais souvenirs de cours de français au collège. Vous savez quoi ? Oubliez. Car ici, cela rend l’histoire totalement addictive. Eh oui, car il faut compter avec les mois entiers que passent les messagers sur la route. Donc lorsque l’on lit la lettre en question, on a généralement deux coudées d’avance sur le personnage qui la reçoit – or, dans ce tome 4, l’information est vraiment le nerf de la guerre. De plus, petite nouveauté, l’autrice joue ici sur un nouveau mode narratif (qu’on ne divulgâche pas), qui décuple le suspense (si c’était possible). Enfin, dans cet opus, les protagonistes ont bien grandi et les avoir suivies de la prime enfance à l’âge adulte participe complètement à l’aspect addictif du récit. On les connaît presque comme des proches, tant leurs caractères et psychologies ont été soignés.
Il faut aussi noter que la série est redoutablement bien écrite, et que l’autrice ne laisse rien au hasard. Bref, Chloé Chevalier est voix de la fantasy francophone à ne pas rater !
Les informations : Récits du Demi-Loup, tome 4, Clémente nous soit la pluie, Chloé Chevalier. Les Moutons électriques, avril 2020.
La chronique des trois tomes précédents.
La Piste des cendres, Emmanuel Chastellière (Critic).
De quoi ça parle ?
1896, le Nouveau Coronado est aux portes de la guerre civile. Conquis à feu et à sang par le lointain royaume du Coronado un quart de siècle auparavant, il est toujours embourbé dans uns situation politique instable. Car les colons –jamais vraiment intégrés– ruminent leur malaise loin de leur patrie d’origine et les autochtones vaincus sont spoliés, asservis et dépouillés de leur culture. Les prémices d’une révolte se font entendre et l’apparition d’un mystérieux leader charismatique finit par mettre le feu aux poudres.
Pourquoi on a aimé ?
Parce que l’univers est dense et complexe, et surtout parce qu’il continue d’exister même une fois le livre refermé. Cela sans doute grâce aux nombreuses références historiques qui émaillent le récit et aux différentes intrigues géopolitiques. Même si ce monde n’est pas le nôtre, il y ressemble parfois quand même furieusement, avec tout ce qu’il a de plus beau et de plus sombre.
On aime aussi son originalité ! Car quand on dit fantasy, le plus souvent, ça évoque un univers médiéval très occidental peuplé de chevaliers et d’un soupçon de magie. Emmanuel Chastellière a pris le cliché à contre pied et nous livre là un roman de flintlock fantasy (ou fantasy à mousquets) qui se démarque du courant steampunk par une technologie plus cohérente avec notre Histoire du XIXe et qui prend place dans les grandes plaines d’une hypothétique Amérique du Sud. Dépaysement garanti !
Point bonus : il existe un autre titre (L’Empire du léopard) dans le même univers, qui peut se lire indépendamment et qui a lieu 25 ans auparavant, de quoi assouvir ses envies de Nouveau Coronado.
Les informations : La Piste des cendres, Emmanuel Chastellière. Critic, mars 2020.
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