SAGA FAMILIALE — Une douce odeur de pluie est la troisième sortie française pour Jojo Moyes en cette année 2018. Après la petite déception qu’avait été Paris est à nous, elle revient en force avec une saga familiale qui nous emmène dans les tréfonds de l’Irlande rurale, au pays des éleveurs de chevaux. Là, elle y dresse le portrait touchant de 3 générations de femmes confrontées à l’amour, au lien mère-fille et à l’évolution des mœurs.
Lorsque Kate fuit son Irlande natale afin d’échapper aux tensions familiales, elle se fait la promesse de ne pas réitérer ce qu’elle a vécu avec sa mère, avec qui la communication est rompue. Quinze ans plus tard, l’histoire semble pourtant se répéter : un gouffre immense s’est creusé entre Kate et sa fille Sabine. Elle envoie donc l’adolescente à Kilcarrion, chez Edward et Joy, ses grands-parents qu’elle connaît à peine. Joy se réjouit à la perspective de passer du temps avec sa petite-fille mais les débuts sont peu prometteurs. Fraîchement débarquée de la banlieue londonienne, Sabine peine à trouver sa place dans cette grande et triste maison, où tout semble tourner autour des chevaux. Elle déteste ces grandes pièces qui sentent la poussière, les règles strictes qui régissent la vie de la maisonnée, les pingreries de ses grands-parents. Désœuvrée et coupée de son téléphone et d’internet, Sabine commence donc à fureter un peu partout, au grand dam de sa grand-mère. Cela ne va pas manquer de faire ressurgir un secret de famille longtemps enfoui ainsi que les vieilles rancœurs qui y sont associées. Malgré tout, Sabine finira par tisser des liens avec ses grands-parents, au grand désarroi de Kate qui ne trouve plus sa place. Cette réunion de famille permettra-t-elle de guérir les vieilles blessures ?
Il est un peu délicat de s’attacher aux personnages. Le roman s’ouvre sur la rencontre de Joy et Edward, dans les colonies britanniques, où ils vivent un véritable coup de foudre. D’emblée, ces deux personnages nous apparaissent sympathiques mais il est par la suite bien difficile de retrouver ces jeunes gens enthousiastes et romantiques dans le couple qu’ils forment plus tard en Irlande. Le personnage de Kate peut également laisser de marbre tant elle prend systématiquement les mauvaises décisions de manière injustifiée. Heureusement, la jeune Sabine relève le niveau : avec toute la fougue de son adolescence, Sabine fait preuve d’une grande résilience après des débuts difficiles. Les personnages secondaires sont quant à eux un peu mieux dosés : Thom, Mme H, Annie, … chacun amène un petit quelque chose et permet à l’auteure de développer une problématique intéressante (le handicap, le deuil, …).
Le gros point fort de ce roman, c’est indéniablement son ambiance et la toile de fond. Jojo Moyes y brosse une Irlande sauvage, rurale, battue par la pluie et les vents. On y découvre les dessous des petits villages isolés, où les gens ne vivent que pour leur amour des chevaux et de la chasse et où la vie de chacun s’organise en fonction de ça. L’humidité s’infiltre partout mais les gens sont chaleureux et accueillants comme les Irlandais peuvent l’être. Quelques chapitres nous ramènent également au milieu du XXe siècle, à Hong-Kong, dans les colonies britanniques, sur les traces des officiers et de leurs épouses. Ces brèves escapades nous permettent de découvrir le point de vue de Joy, ses propres relations avec sa mère Alice et son quotidien à l’étranger, ce qui est très enrichissant. À chaque génération ses travers : Alice, figée dans la tradition du début du XXe, voit d’un œil mauvais le coup de foudre et le mariage de sa fille avec Edward. Commence alors une longue période passive-agressive de reproches et de désapprobation, qui prendra néanmoins partiellement fin avec les grossesses de sa fille et l’arrivée de ses petits-enfants. Toute la beauté et la complexité des liens mère-fille !
Une douce odeur de pluie est donc une bonne surprise ! L’ambiance sauvage de l’Irlande saura compenser le manque de rythme du début du roman et les quelques lacunes des personnages. On ressort également de cette lecture avec le subtil rappel qu’il faut chérir les liens tissés avec nos mères et nos filles et saisir chaque opportunité de soigner les blessures du passé.
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