ROMAN HISTORIQUE D’ESPIONNAGE — Après trois premiers tomes très prenants, Jane Thynne propose une quatrième aventure de Clara Vine, actrice anglo-allemande installée à Berlin depuis 1933 et discrète pourvoyeuse d’informations au gouvernement britannique.
Discrète ? Peut-être pas tant que cela… Car depuis La Guerre des fleurs, il semblerait que Clara soit diablement surveillée par la Gestapo, par le ministre de la propagande Goebbels, mais aussi par des agents du ministère des Affaires Intérieures – et ce en raison de l’intense détestation qu’éprouve l’épouse du ministre, Annelies von Ribbentrop, à son égard. Difficile, dans ces conditions, de tirer correctement son épingle du jeu en continuant à jouer pour les studios de l’Ufa, à chérir son filleul Erich malgré ses velléités hitlériennes tout en continuant à fournir des renseignements de qualité. D’ailleurs, tout se bouscule : Clara est choisie par Leni Riefenstahl, la célèbre cinéaste allemande, pour incarner l’esprit de Germania dans son nouveau film à la gloire du IIIe Reich (film qui ne paraîtra jamais) ; elle est chargée par les renseignements britanniques d’enquêter sur les rumeurs de pacte germano-soviétique ; là-dessus, Lotti Franke, son apprentie, une élève de l’institution nazie Foi et Beauté, est retrouvée sauvagement assassinée.
Une chose est sûre : on ne s’ennuie pas dans le Berlin de 1939 et si Clara veut s’en tirer saine et sauve, elle va avoir du pain sur la planche.
Comme dans les tomes précédents, le roman s’ouvre sur une découverte macabre – en l’occurrence, le corps de Lottie Franke. Et puis l’affaire passe au second plan, puisque Clara n’est pas mandatée pour résoudre ces énigmes. Evidemment, on s’en doute dès le départ, sa recherche d’informations finira par croiser l’enquête criminelle en cours et nous apportera toutes les lumières nécessaires – mais ce sera fait presque en passant, puisque ce n’est pas vraiment le coeur de l’intrigue.
Celui-ci n’est pas non plus l’affaire d’espionnage : certes, Clara espionne à tout va mais en toute discrétion. Point d’infiltrations rocambolesques et autres prouesses à la James Bond, donc, car ni les lieux ni le climat politique ne permettent de telles excentricités. De fait, si l’espionnage peut sembler ténu, la tension est, elle, au rendez-vous. Non seulement car on sait comment s’est achevé l’été 1939, mais aussi parce que l’on a une conscience assez nette de la surveillance dont Clara fait l’objet et de la panade dans laquelle elle s’est mise.
Encore une fois, Jane Thynne retranscrit à merveille l’ambiance de l’époque : ses descriptions ne taisent ni les difficultés du quotidien (manque de nourriture, pénuries de café, ou de savon), ni les exactions commises contre certaines populations (les Juifs en tête, évidemment). Clara va d’ailleurs se retrouver dans le collimateur de certains nazis, son Ariernachweis (certificat d’aryanité) étant remis en question, ce qui instaure une tension durable. Le roman montre bien l’impitoyable machine à broyer mise en place par les nazis, la façon dont leurs institutions juvéniles lavaient le cerveau de leurs chères têtes blondes et comment la peur tenait (presque tous les autres). Mais, comme en contre-point, le roman fait la part belle aux réseaux de résistance installés à Berlin, qu’il s’agisse de juifs allemands, de communistes ou de simples berlinois horrifiés et décidés à changer les choses. À la lecture, on se rend néanmoins compte à quel point tout ce petit monde pouvait être épié, surveillé, traqué, les mouchards et les délateurs étant légion. Plus cela avance, et plus on se surprend à sursauter à chaque dialogue ou presque et à se demander s’il est bien sage que Clara reste là où elle est, tout en ayant conscience de l’importance de sa mission aussi périlleuse que solitaire.
D’autant qu’on ne peut pas dire que sa vie personnelle soit plus épanouissante : après sa brève réapparition dans le tome précédent, Leo Quinn est de nouveau absent et les nouvelles qu’elle a de sa situation la plongent (et le lecteur avec) dans les affres du désespoir. Il semblerait d’ailleurs que ce volume accorde plus d’attention aux personnages que les précédents : la relation entre Leo et Clara revient, d’une certaine manière, au premier plan, et ses relations avec les autres personnes qui gravitent autour d’elle (amis, famille), vont également être un peu plus au centre de l’histoire, ce qui remet beaucoup de choses en perspective – mais dont on ne dira rien de plus au risque de déflorer quelques révélations fracassantes. Autre point intéressant : l’intrigue nous permet de suivre Hedwig, la meilleure amie de feue Lottie, élève de Foi et Beauté elle aussi, mais nettement moins belle et populaire que sa camarade assassinée. Ce nouveau point de vue apporte d’intéressants éclairages à l’histoire comme à l’ambiance et permet de se mettre un peu plus dans la peau des Berlinois emportés par le tumulte.
Au terme des quelques 400 pages du roman, on est plus que jamais proches de l’entrée en guerre. Au fil des tomes, Jane Thynne n’aura eu de cesse de dépeindre l’inexorable montée en pression du nazisme, jusqu’à l’éclatement du conflit mondial. Au vu de la conclusion de ce quatrième tome, on peut tout imaginer quant à l’avenir de Clara. Le cinquième tome ayant déjà été publié en version anglaise en fin d’année dernière, nul doute que nous aurons bientôt la réponse…
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